Notes sur la guerre civile grecque (1946-1949) – Aspects internationaux
par Costas Pateras*
Les dimensions internationales de la guerre civile grecque sont particulièrement importantes: l’implication des deux puissances impérialistes majeures, l’activité diplomatique de l’Union soviétique, les missions et résolutions de la toute jeune ONU, les conséquences de la rupture entre la Yougoslavie et le camp socialiste, le large mouvement de solidarité internationale avec l’armée démocratique de Grèce (ADG). A la lumière de tout cela, l’absence de référence à ce combat dans les medias internationaux est remarquable, en contraste évident avec la guerre civile espagnole. On a clairement tenté d’éliminer les points de vue qui vont à l’encontre de la « ligne » impérialiste communément admise. La télévision grecque qui normalement couvre (brièvement !) les activités du KKE et traduit ses rapports sur sa page anglaise, a omis de traduire le rapport en grec du meeting de Lykorakhi du 2 juillet. Un autre cas significatif était le documentaire britannique « La guerre cachée » (diffusé sur Channel 4 en 1986), qui montrait pour la première fois des interviews d’anciens partisans de l’ELAS et de l’ADG et était extrêmement critique à l’égard de l’intervention britannique en Grèce et de la « terreur blanche ». Suite au tollé de la classe dominante britannique, le documentaire a été banni de la télévision britannique et la carrière du producteur a été sérieusement mise en cause. Le fait que les puissances impérialistes, qui ont participé à la répression des forces progressistes en Grèce, tiennent encore le haut du pavé au niveau international est la cause principale de ce silence. Il est beaucoup plus facile de critiquer les gouvernements fascistes nazi et italien et leurs interventions en Espagne (tout en ignorant bien sûr les attitudes hypocrites des pays « démocratiques »).
Dans notre premier article, nous avons décrit le rôle de l’impérialisme britannique en Grèce pendant la période 1944-1947. Le gouvernement travailliste et son ministre des affaires étrangères Ernest Bevin ont été de plus en plus découragés par leur incapacité à écraser l’EAM et le KKE, à établir un régime stable pro-britannique sur base du retour de la monarchie. Les partis et politiciens grecs ont été mis en avant, rejetés puis revenus en grâce à un rythme quasi-mensuel. Il est devenu évident que la « menace communiste » ne pouvait être endiguée que par un investissement militaire et financier massif. L’empire britannique traversait une période cruciale, celle de son déclin. L’Inde était sur le point de gagner son indépendance, les intérêts britanniques en Chine s’effondraient face aux avancées de l’armée révolutionnaire et la Malaisie se révoltait ouvertement contre ses maîtres impérialistes. La Grande-Bretagne a annoncé que son retrait de Grèce aurait lieu le 31 mars 1947, après un hiver pendant lequel l’armée régulière grecque avait été régulièrement humiliée par l’ADG. La perspective de l’effondrement de l’Etat bourgeois grec était imminente.
Cela a amené l’impérialisme américain à agir, afin d’empêcher « l’expansion communiste » en Méditerranée et de maintenir des satellites anti-communistes en Grèce et en Turquie pour menacer les flancs des pays socialistes d’Europe de l’Est et de l’Union soviétique. Le 12 mars 1947, le président Harry Truman a annoncé la « doctrine Truman », c’est-à-dire la promesse d’une intervention américaine en soutien à tout régime faisant face à une révolution socialiste. Cela a été bientôt suivi par un ensemble de mesures économiques ayant le même objectif, le plan Marshall, du nom du secrétaire d’Etat. Le premier avril 1941, les USA ont pris la « responsabilité » de la Grèce; en définissant sa position, Truman a déclaré : « Le gouvernement grec n’est pas en position de gérer la situation. L’armée grecque est petite en nombre et pauvrement équipée… Le gouvernement britannique, qui a soutenu la Grèce jusqu’aujourd’hui, a déclaré qu’il se trouve dans l’impossibilité de fournir encore du soutien après le 31 mars… La situation est pressante, elle demande une action immédiate. » Le 22 mars, le Congrès américain a voté un budget de 400 millions de dollars d’aide à la Grèce et à la Turquie. Le 20 juin, les gouvernements américain et grec signaient officiellement un accord. Par l’article 8 de cet accord, le gouvernement américain a fait clairement savoir qu’à partir de ce moment il dicterait ce qui serait fait en Grèce.
Cette « aide » consistait en l’équipement et l’entraînement de l’armée grecque. 5.000 conseillers militaires américains sont arrivés en Grèce et, le 24 février 1948, le général Van Fleet a été envoyé des Etats-Unis pour devenir le commandant en chef de facto de l’armée grecque (à l’aéroport, le premier ministre l’a reçu en disant : « Bienvenue chez vous, général… Voici votre armée ! »). On estime que le gouvernement américain a dépensé près de 50.000 dollars pour chaque partisan de l’ADG, par la fourniture de tanks, d’artillerie, d’avions et toutes sortes d’explosifs, y compris du napalm qui a fait ses « débuts » dans les montagnes de Granmos. Les activités américaines ne se limitaient pas à la sphère militaire. La mission d’aide américaine en Grèce a été mise sur pied sous la direction de Dwight Griswold (dans le cadre du plan Marshall), qui, via la gestion des investissements publics et privés américains en Grèce, exerçait un contrôle étroit sur les affaires intérieures grecques (Griswold a même suspendu temporairement l’aide à la Grèce dans le but de forcer un gouvernement de coalition entre les libéraux et le parti populaire). Le gouvernement grec s’est empressé d’exempter les compagnies américaines des taxes imposées à toutes les compagnies étrangères. Les buts stratégiques américains étaient clairement esquissés dans le Herald Tribune du 27 mars 1947 : « Nous n’avons pas choisi la Grèce et la Turquie parce qu’elles sont de brillants exemples de démocratie et de droits de l’homme mais parce qu’elles constituent des points d’entrée stratégiques à la Mer noire et au cœur de l’Union soviétique. » Le caractère impitoyable de l’impérialisme américain est illustré par le meurtre du journaliste américain de gauche George Polk le 16 mai 1948 à Thessalonique, par les services secrets grec et américain. Polk s’était montré critique à l’égard du régime soutenu par les Etats-Unis et ses manquements aux droits de l’homme. Par un investissement massif, l’impérialisme américain est parvenu à vaincre militairement le mouvement populaire et à mettre en place un régime dévoué à ses objectifs stratégiques.
L’agressivité américaine a été renforcée par la position encore faible du camp socialiste. L’Union soviétique avait été ravagée par la guerre ; elle avait perdu 20 millions de ses citoyens afin de vaincre l’Allemagne nazie et une grande partie de ses régions les plus industrialisées et développées avaient été détruites. Elle faisait face à une tâche de reconstruction énorme. Les nouvelles démocraties populaires en Europe de l’Est avaient été fortement endommagées par la guerre. Elles faisaient face à des Etats-Unis, renforcés industriellement et militairement, confortés par la fondation de l’Otan, alors que, dans la majorité d’entre-elles, la question du pouvoir n’avait pas été résolue lorsque la guerre civile grecque a éclaté. Au même moment, les puissances impérialistes et le régime grec ne cachaient pas leur hostilité envers les démocraties populaires des pays balkaniques. Leurs efforts en vue d’utiliser la guerre civile comme prétexte pour lancer une attaque directe contre ces pays ont échoué. Au contraire, on peut arguer que le combat héroïque mené par l’ADG a fait sérieusement obstacle à leurs plans contre les Etats socialistes naissants dans les Balkans ; le combat de l’ADG constituait une contribution internationaliste à la consolidation du pouvoir socialiste dans ces pays.
En 1945, les bombes atomiques ont été lancées sur Nagasaki et Hiroshima, un message clair à l’URSS. On sait depuis que, pendant cette période, des dizaines de plans de frappes atomiques préventives sur l’URSS ont été formulés à Washington. Il est donc clair que, d’une part, les conditions n’étaient pas réunies pour que les pays socialistes puissent intervenir militairement, mais aussi que les possibilités d’offrir une assistance matérielle quelconque étaient limitées. Cela s’est exacerbé après la rupture entre la Yougoslavie et le camp socialiste. La Yougoslavie, tout en établissant des relations économiques avec les puissances occidentales, a fermé ses frontières aux partisans de l’ADG, a refusé de permettre aux combattants blessés, soignés en Yougoslavie, de rentrer en Grèce et a cessé tout soutien matériel.
L’URSS a pourtant offert un appui diplomatique considérable: au sommet des ministres des affaires étrangères des « grandes puissances » en septembre 1945, elle a soumis une motion de protestation relative à la situation en Grèce. En janvier 1946, à la réunion du conseil de sécurité de l’ONU, elle a soumis une résolution condamnant l’intervention de forces militaires étrangères en Grèce, la terreur fasciste et a appelé à un retrait inconditionnel des troupes britanniques de Grèce. Grâce aux protestations soviétiques et à ses démarches à l’ONU et dans d’autres institutions internationales en 1947-48, des centaines de prisonniers politiques condamnés à la peine de mort ont échappé à l’exécution. En juin 1949, l’URSS proposé à l’ONU une solution pacifique au conflit; elle appelait à un cessez-le-feu, à une amnistie générale, à des élections parlementaires libres et à la fin de l’aide militaire au gouvernement grec. Ces efforts allaient de pair avec les nombreux appels des forces démocratiques grecques qui incluaient l’appel de l’EAM à l’ONU contre la terreur. Le fait qu’aucune de ces initiatives n’a porté ses fruits était dû à l’intransigeance des puissances impérialistes, ce qui ne devrait laisser aucun doute sur qui devrait porter la responsabilité des conséquences désastreuses et des victimes de la guerre civile.
En plus de cela, des comités de solidarité ont été fondés dans tous les pays socialistes. Ils faisaient partie d’un mouvement de solidarité internationale massif, qui a développé une base particulièrement forte en Grande-Bretagne et en France.
En 1943, le Comité pour l’Unité grecque (CUG) a été fondé par des progressistes grecs et britanniques dans le but d’informer le peuple britannique des activités de l’EAM/ELAS. Le CUG a coopéré avec la Fédération des syndicats de marins grecs (FSMG) qui avait été fondée la même année à Cardiff et avait développé un travail politique parmi les marins grecs sur le mouvement de libération national. Elle entretenait des liens étroits avec l’AKEL et le Parti communiste de Grande-Bretagne et a publié un hebdomadaire « La Grèce libre » et plusieurs brochures sur la situation en Grèce.
En 1944-45, le CUG a intensifié ses activités en réponse à la répression de l’EAM, parrainée par les Britanniques. En plus de sa coopération avec le PCGB, il a développé des liens avec certains parlementaires de la gauche du parti travailliste, poussant à un changement de la politique britannique, au soutien aux militants persécutés de l’EAM, aux communistes et autres personnalités de gauche. Après la victoire électorale du parti travailliste en 1945, on se rendit compte de la nécessité d’établir un groupe de pression officiel et permanent. Et ainsi naquit la Ligue pour la Démocratie en Grèce, le 7 novembre. Son premier président était Compton Mackenzie, un parlementaire travailliste. Dans son premier communiqué de presse, il a déclaré que ses objectifs étaient une Grèce démocratique, sur base d’une amnistie générale, des élections libres et des sanctions appropriées pour les collaborateurs nazis. De plus, la Ligue revendiquait une aide matérielle pour les démocrates emprisonnés et leurs familles.
La Ligue a mené de nombreuses campagnes pour la défense des prisonniers politiques et en soutien aux forces démocratiques en Grèce. En 1946, trois parlementaires travaillistes ont visité la Grèce et ont écrit un récit choquant sur les conditions en vigueur là-bas, sur la « terreur blanche » et l’implication des troupes britanniques, intitulé « Tragédie en Grèce ». Après la guerre civile, la Ligue a poursuivi son travail de défense des militants emprisonnés (en particulier les condamnés à mort) et pour l’abolition des camps de concentrations tels que Makronissos. Cette activité s’est poursuivie continuellement, y compris pendant la période de la Junte (1967-1974).
En France, le Conseil National de la Résistance (CNR) et le Parti communiste français ont lancé, en janvier 1946, une campagne de solidarité avec le mouvement populaire en Grèce. Les députés communistes ont condamné la terreur et promis leur soutien actif aux démocrates grecs ce même mois. Le PCF a agi en concertation avec de nombreux Grecs vivant en France alors (y compris beaucoup d’exilés politiques de gauche). On y retrouvait des membres du KKE et de l’EAM vivant en France: Memos Makris, Dimitris Fotopoulos, Elli Alexiou, Marianna Veaki notamment. Ces activités présentaient trois pôles.
Le PCF a supporté financièrement ces projets de façon officielle. De nombreuses personnalités françaises ont participé au Comité, notamment Jacques Duclos, Frédéric Joliot-Curie, Paul Eluard, Louis Aragon, Elsa Triolet, Picasso, Henri Bassis, Le Corbusier, Yves Farges et beaucoup d’autres. Le groupement d’intellectuels autour de la revue Les Temps Modernes, dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, a également joué un rôle très actif. Le Comité a reçu également un soutien massif de la part de la CGT. Son président Léon Jouhaux a visité la Grèce en septembre 1946 pour soutenir le 8ème congrès de la Confédération générale grecque des travailleurs et son président communiste Mitsos Paparigas, qui était attaqué par le régime. La CGT a rassemblé un million de francs pour son fonds de solidarité. Au début de 1948, le Comité avait déjà rassemblé deux millions de francs français !
La Conférence internationale pour l’aide à la Grèce démocratique s’est tenue à Paris en avril 1948, avec des délégués de 23 pays. L’Etat bourgeois français a tenté d’étouffer l’évènement en refusant d’accorder des visas aux représentants d’Europe de l’Est. Les USA ont interdit au candidat à la présidence Henry Wallace de participer à cette conférence. En dépit de cela, la Conférence internationale a eu un impact massif. Un Comité international a été fondé; un appel à la Croix-Rouge pour une aide humanitaire immédiate, un manifeste de soutien à la lutte du peuple grec et une condamnation de l’intervention américaine ont été adoptés.
La solidarité de la gauche française ne s’est pas terminée avec la Guerre civile. L'Humanité et Les Temps Modernes ont publié des articles importants condamnant les camps de concentration. Ils ont été rejoints par des magazines tels que Esprit et des journaux comme Libération et Le Figaro.
Le poète Paul Eluard a visité la Grèce pour la première fois en mai 1946. Il a dénoncé l’intervention impérialiste britannique, lors d’une manifestation de masse au théâtre Attiki, en déclarant : « Le peuple grec nous montre qu’aucune cause n’est perdue lorsque cette cause est la défense de la Liberté ». Il a visité de nouveau la Grèce trois ans plus tard, voyageant dans les fiefs de l’Armée démocratique de Grèce dans les montagnes de Vitsi-Grammos. Son message qui a été récité dans les mégaphones pour les conscrits de l’armée nationale, représente tout l’esprit du mouvement de solidarité internationale. « Enfants de Grèce, paysans, ouvriers, intellectuels, j’en appelle à vous qui faites partie de l’armée d’un gouvernement qui ne vous représente pas. Une guerre fratricide comme la votre est plus terrible que n’importe quelle autre guerre; elle bénéficie uniquement à ceux qui vous ont menés ici. Vous qui vous trouvez dans le camp des prisons et des tortionnaires, je vous presse de penser à tous ces innocents qui, chaque jour, payent votre avenir de leur sang. Je vous implore; pensez à l’enfer de Makronissos et des prisons où des dizaines de milliers de patriotes, sûrs de leur victoire, attendent quotidiennement la torture et la mort. »
*Costas Pateras est un associé de la section internationale du KKE
Les dimensions internationales de la guerre civile grecque sont particulièrement importantes: l’implication des deux puissances impérialistes majeures, l’activité diplomatique de l’Union soviétique, les missions et résolutions de la toute jeune ONU, les conséquences de la rupture entre la Yougoslavie et le camp socialiste, le large mouvement de solidarité internationale avec l’armée démocratique de Grèce (ADG). A la lumière de tout cela, l’absence de référence à ce combat dans les medias internationaux est remarquable, en contraste évident avec la guerre civile espagnole. On a clairement tenté d’éliminer les points de vue qui vont à l’encontre de la « ligne » impérialiste communément admise. La télévision grecque qui normalement couvre (brièvement !) les activités du KKE et traduit ses rapports sur sa page anglaise, a omis de traduire le rapport en grec du meeting de Lykorakhi du 2 juillet. Un autre cas significatif était le documentaire britannique « La guerre cachée » (diffusé sur Channel 4 en 1986), qui montrait pour la première fois des interviews d’anciens partisans de l’ELAS et de l’ADG et était extrêmement critique à l’égard de l’intervention britannique en Grèce et de la « terreur blanche ». Suite au tollé de la classe dominante britannique, le documentaire a été banni de la télévision britannique et la carrière du producteur a été sérieusement mise en cause. Le fait que les puissances impérialistes, qui ont participé à la répression des forces progressistes en Grèce, tiennent encore le haut du pavé au niveau international est la cause principale de ce silence. Il est beaucoup plus facile de critiquer les gouvernements fascistes nazi et italien et leurs interventions en Espagne (tout en ignorant bien sûr les attitudes hypocrites des pays « démocratiques »).
Dans notre premier article, nous avons décrit le rôle de l’impérialisme britannique en Grèce pendant la période 1944-1947. Le gouvernement travailliste et son ministre des affaires étrangères Ernest Bevin ont été de plus en plus découragés par leur incapacité à écraser l’EAM et le KKE, à établir un régime stable pro-britannique sur base du retour de la monarchie. Les partis et politiciens grecs ont été mis en avant, rejetés puis revenus en grâce à un rythme quasi-mensuel. Il est devenu évident que la « menace communiste » ne pouvait être endiguée que par un investissement militaire et financier massif. L’empire britannique traversait une période cruciale, celle de son déclin. L’Inde était sur le point de gagner son indépendance, les intérêts britanniques en Chine s’effondraient face aux avancées de l’armée révolutionnaire et la Malaisie se révoltait ouvertement contre ses maîtres impérialistes. La Grande-Bretagne a annoncé que son retrait de Grèce aurait lieu le 31 mars 1947, après un hiver pendant lequel l’armée régulière grecque avait été régulièrement humiliée par l’ADG. La perspective de l’effondrement de l’Etat bourgeois grec était imminente.
Cela a amené l’impérialisme américain à agir, afin d’empêcher « l’expansion communiste » en Méditerranée et de maintenir des satellites anti-communistes en Grèce et en Turquie pour menacer les flancs des pays socialistes d’Europe de l’Est et de l’Union soviétique. Le 12 mars 1947, le président Harry Truman a annoncé la « doctrine Truman », c’est-à-dire la promesse d’une intervention américaine en soutien à tout régime faisant face à une révolution socialiste. Cela a été bientôt suivi par un ensemble de mesures économiques ayant le même objectif, le plan Marshall, du nom du secrétaire d’Etat. Le premier avril 1941, les USA ont pris la « responsabilité » de la Grèce; en définissant sa position, Truman a déclaré : « Le gouvernement grec n’est pas en position de gérer la situation. L’armée grecque est petite en nombre et pauvrement équipée… Le gouvernement britannique, qui a soutenu la Grèce jusqu’aujourd’hui, a déclaré qu’il se trouve dans l’impossibilité de fournir encore du soutien après le 31 mars… La situation est pressante, elle demande une action immédiate. » Le 22 mars, le Congrès américain a voté un budget de 400 millions de dollars d’aide à la Grèce et à la Turquie. Le 20 juin, les gouvernements américain et grec signaient officiellement un accord. Par l’article 8 de cet accord, le gouvernement américain a fait clairement savoir qu’à partir de ce moment il dicterait ce qui serait fait en Grèce.
Cette « aide » consistait en l’équipement et l’entraînement de l’armée grecque. 5.000 conseillers militaires américains sont arrivés en Grèce et, le 24 février 1948, le général Van Fleet a été envoyé des Etats-Unis pour devenir le commandant en chef de facto de l’armée grecque (à l’aéroport, le premier ministre l’a reçu en disant : « Bienvenue chez vous, général… Voici votre armée ! »). On estime que le gouvernement américain a dépensé près de 50.000 dollars pour chaque partisan de l’ADG, par la fourniture de tanks, d’artillerie, d’avions et toutes sortes d’explosifs, y compris du napalm qui a fait ses « débuts » dans les montagnes de Granmos. Les activités américaines ne se limitaient pas à la sphère militaire. La mission d’aide américaine en Grèce a été mise sur pied sous la direction de Dwight Griswold (dans le cadre du plan Marshall), qui, via la gestion des investissements publics et privés américains en Grèce, exerçait un contrôle étroit sur les affaires intérieures grecques (Griswold a même suspendu temporairement l’aide à la Grèce dans le but de forcer un gouvernement de coalition entre les libéraux et le parti populaire). Le gouvernement grec s’est empressé d’exempter les compagnies américaines des taxes imposées à toutes les compagnies étrangères. Les buts stratégiques américains étaient clairement esquissés dans le Herald Tribune du 27 mars 1947 : « Nous n’avons pas choisi la Grèce et la Turquie parce qu’elles sont de brillants exemples de démocratie et de droits de l’homme mais parce qu’elles constituent des points d’entrée stratégiques à la Mer noire et au cœur de l’Union soviétique. » Le caractère impitoyable de l’impérialisme américain est illustré par le meurtre du journaliste américain de gauche George Polk le 16 mai 1948 à Thessalonique, par les services secrets grec et américain. Polk s’était montré critique à l’égard du régime soutenu par les Etats-Unis et ses manquements aux droits de l’homme. Par un investissement massif, l’impérialisme américain est parvenu à vaincre militairement le mouvement populaire et à mettre en place un régime dévoué à ses objectifs stratégiques.
L’agressivité américaine a été renforcée par la position encore faible du camp socialiste. L’Union soviétique avait été ravagée par la guerre ; elle avait perdu 20 millions de ses citoyens afin de vaincre l’Allemagne nazie et une grande partie de ses régions les plus industrialisées et développées avaient été détruites. Elle faisait face à une tâche de reconstruction énorme. Les nouvelles démocraties populaires en Europe de l’Est avaient été fortement endommagées par la guerre. Elles faisaient face à des Etats-Unis, renforcés industriellement et militairement, confortés par la fondation de l’Otan, alors que, dans la majorité d’entre-elles, la question du pouvoir n’avait pas été résolue lorsque la guerre civile grecque a éclaté. Au même moment, les puissances impérialistes et le régime grec ne cachaient pas leur hostilité envers les démocraties populaires des pays balkaniques. Leurs efforts en vue d’utiliser la guerre civile comme prétexte pour lancer une attaque directe contre ces pays ont échoué. Au contraire, on peut arguer que le combat héroïque mené par l’ADG a fait sérieusement obstacle à leurs plans contre les Etats socialistes naissants dans les Balkans ; le combat de l’ADG constituait une contribution internationaliste à la consolidation du pouvoir socialiste dans ces pays.
En 1945, les bombes atomiques ont été lancées sur Nagasaki et Hiroshima, un message clair à l’URSS. On sait depuis que, pendant cette période, des dizaines de plans de frappes atomiques préventives sur l’URSS ont été formulés à Washington. Il est donc clair que, d’une part, les conditions n’étaient pas réunies pour que les pays socialistes puissent intervenir militairement, mais aussi que les possibilités d’offrir une assistance matérielle quelconque étaient limitées. Cela s’est exacerbé après la rupture entre la Yougoslavie et le camp socialiste. La Yougoslavie, tout en établissant des relations économiques avec les puissances occidentales, a fermé ses frontières aux partisans de l’ADG, a refusé de permettre aux combattants blessés, soignés en Yougoslavie, de rentrer en Grèce et a cessé tout soutien matériel.
L’URSS a pourtant offert un appui diplomatique considérable: au sommet des ministres des affaires étrangères des « grandes puissances » en septembre 1945, elle a soumis une motion de protestation relative à la situation en Grèce. En janvier 1946, à la réunion du conseil de sécurité de l’ONU, elle a soumis une résolution condamnant l’intervention de forces militaires étrangères en Grèce, la terreur fasciste et a appelé à un retrait inconditionnel des troupes britanniques de Grèce. Grâce aux protestations soviétiques et à ses démarches à l’ONU et dans d’autres institutions internationales en 1947-48, des centaines de prisonniers politiques condamnés à la peine de mort ont échappé à l’exécution. En juin 1949, l’URSS proposé à l’ONU une solution pacifique au conflit; elle appelait à un cessez-le-feu, à une amnistie générale, à des élections parlementaires libres et à la fin de l’aide militaire au gouvernement grec. Ces efforts allaient de pair avec les nombreux appels des forces démocratiques grecques qui incluaient l’appel de l’EAM à l’ONU contre la terreur. Le fait qu’aucune de ces initiatives n’a porté ses fruits était dû à l’intransigeance des puissances impérialistes, ce qui ne devrait laisser aucun doute sur qui devrait porter la responsabilité des conséquences désastreuses et des victimes de la guerre civile.
En plus de cela, des comités de solidarité ont été fondés dans tous les pays socialistes. Ils faisaient partie d’un mouvement de solidarité internationale massif, qui a développé une base particulièrement forte en Grande-Bretagne et en France.
En 1943, le Comité pour l’Unité grecque (CUG) a été fondé par des progressistes grecs et britanniques dans le but d’informer le peuple britannique des activités de l’EAM/ELAS. Le CUG a coopéré avec la Fédération des syndicats de marins grecs (FSMG) qui avait été fondée la même année à Cardiff et avait développé un travail politique parmi les marins grecs sur le mouvement de libération national. Elle entretenait des liens étroits avec l’AKEL et le Parti communiste de Grande-Bretagne et a publié un hebdomadaire « La Grèce libre » et plusieurs brochures sur la situation en Grèce.
En 1944-45, le CUG a intensifié ses activités en réponse à la répression de l’EAM, parrainée par les Britanniques. En plus de sa coopération avec le PCGB, il a développé des liens avec certains parlementaires de la gauche du parti travailliste, poussant à un changement de la politique britannique, au soutien aux militants persécutés de l’EAM, aux communistes et autres personnalités de gauche. Après la victoire électorale du parti travailliste en 1945, on se rendit compte de la nécessité d’établir un groupe de pression officiel et permanent. Et ainsi naquit la Ligue pour la Démocratie en Grèce, le 7 novembre. Son premier président était Compton Mackenzie, un parlementaire travailliste. Dans son premier communiqué de presse, il a déclaré que ses objectifs étaient une Grèce démocratique, sur base d’une amnistie générale, des élections libres et des sanctions appropriées pour les collaborateurs nazis. De plus, la Ligue revendiquait une aide matérielle pour les démocrates emprisonnés et leurs familles.
La Ligue a mené de nombreuses campagnes pour la défense des prisonniers politiques et en soutien aux forces démocratiques en Grèce. En 1946, trois parlementaires travaillistes ont visité la Grèce et ont écrit un récit choquant sur les conditions en vigueur là-bas, sur la « terreur blanche » et l’implication des troupes britanniques, intitulé « Tragédie en Grèce ». Après la guerre civile, la Ligue a poursuivi son travail de défense des militants emprisonnés (en particulier les condamnés à mort) et pour l’abolition des camps de concentrations tels que Makronissos. Cette activité s’est poursuivie continuellement, y compris pendant la période de la Junte (1967-1974).
En France, le Conseil National de la Résistance (CNR) et le Parti communiste français ont lancé, en janvier 1946, une campagne de solidarité avec le mouvement populaire en Grèce. Les députés communistes ont condamné la terreur et promis leur soutien actif aux démocrates grecs ce même mois. Le PCF a agi en concertation avec de nombreux Grecs vivant en France alors (y compris beaucoup d’exilés politiques de gauche). On y retrouvait des membres du KKE et de l’EAM vivant en France: Memos Makris, Dimitris Fotopoulos, Elli Alexiou, Marianna Veaki notamment. Ces activités présentaient trois pôles.
- Etablir un bureau de presse permanent pour informer le peuple français sur la situation en Grèce (Hellas press)
- Mettre sur pied un comité de solidarité français (Comité Français d'aide à la Grèce démocratique)
- Envoyer des missions d’intellectuels, d’artistes et de journalistes français en Grèce afin de s’informer de la situation et, à leur retour, d’écrire des articles, de donner des conférences, etc.
Le PCF a supporté financièrement ces projets de façon officielle. De nombreuses personnalités françaises ont participé au Comité, notamment Jacques Duclos, Frédéric Joliot-Curie, Paul Eluard, Louis Aragon, Elsa Triolet, Picasso, Henri Bassis, Le Corbusier, Yves Farges et beaucoup d’autres. Le groupement d’intellectuels autour de la revue Les Temps Modernes, dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, a également joué un rôle très actif. Le Comité a reçu également un soutien massif de la part de la CGT. Son président Léon Jouhaux a visité la Grèce en septembre 1946 pour soutenir le 8ème congrès de la Confédération générale grecque des travailleurs et son président communiste Mitsos Paparigas, qui était attaqué par le régime. La CGT a rassemblé un million de francs pour son fonds de solidarité. Au début de 1948, le Comité avait déjà rassemblé deux millions de francs français !
La Conférence internationale pour l’aide à la Grèce démocratique s’est tenue à Paris en avril 1948, avec des délégués de 23 pays. L’Etat bourgeois français a tenté d’étouffer l’évènement en refusant d’accorder des visas aux représentants d’Europe de l’Est. Les USA ont interdit au candidat à la présidence Henry Wallace de participer à cette conférence. En dépit de cela, la Conférence internationale a eu un impact massif. Un Comité international a été fondé; un appel à la Croix-Rouge pour une aide humanitaire immédiate, un manifeste de soutien à la lutte du peuple grec et une condamnation de l’intervention américaine ont été adoptés.
La solidarité de la gauche française ne s’est pas terminée avec la Guerre civile. L'Humanité et Les Temps Modernes ont publié des articles importants condamnant les camps de concentration. Ils ont été rejoints par des magazines tels que Esprit et des journaux comme Libération et Le Figaro.
Le poète Paul Eluard a visité la Grèce pour la première fois en mai 1946. Il a dénoncé l’intervention impérialiste britannique, lors d’une manifestation de masse au théâtre Attiki, en déclarant : « Le peuple grec nous montre qu’aucune cause n’est perdue lorsque cette cause est la défense de la Liberté ». Il a visité de nouveau la Grèce trois ans plus tard, voyageant dans les fiefs de l’Armée démocratique de Grèce dans les montagnes de Vitsi-Grammos. Son message qui a été récité dans les mégaphones pour les conscrits de l’armée nationale, représente tout l’esprit du mouvement de solidarité internationale. « Enfants de Grèce, paysans, ouvriers, intellectuels, j’en appelle à vous qui faites partie de l’armée d’un gouvernement qui ne vous représente pas. Une guerre fratricide comme la votre est plus terrible que n’importe quelle autre guerre; elle bénéficie uniquement à ceux qui vous ont menés ici. Vous qui vous trouvez dans le camp des prisons et des tortionnaires, je vous presse de penser à tous ces innocents qui, chaque jour, payent votre avenir de leur sang. Je vous implore; pensez à l’enfer de Makronissos et des prisons où des dizaines de milliers de patriotes, sûrs de leur victoire, attendent quotidiennement la torture et la mort. »
*Costas Pateras est un associé de la section internationale du KKE
e-mail:cpg@int.kke.gr