Notes sur la guerre civile grecque (1946-1949)
Le 2 juillet 2006, des milliers de membres et de sympathisants/antes du Parti communiste de Grèce (KKE) et de la Jeunesse communiste de Grèce (KNE) se sont réunis au village de Likorakhi, situé au cœur de la chaîne de montagnes Grammos, pour participer à la cérémonie d'inauguration d'un mémorial commémorant le 60ème anniversaire de la fondation de l'Armée démocratique de Grèce (ADG) et rendre hommage aux milliers de militants/antes qui ont sacrifié leur vie au cours des trois années de guerre civile (1946-1949), dans la lutte contre la réaction locale et l'impérialisme anglo-états-unien.
L'emplacement du mémorial est, lui aussi, hautement symbolique. Il est situé à l'endroit où se trouvait un nid de mitrailleuse de l'Armée démocratique de Grèce, au sein des montagnes où ont eu lieu, en 1948 et en 1949, les plus violents combats de la guerre civile. Dans sa déclaration commémorant le 60ème anniversaire, le Comité central du Parti communiste de Grèce a souligné le fait que la guerre civile a été «la période de lutte de classe la plus intense en Grèce au cours du vingtième siècle», la lutte pour la démocratie du peuple contre la classe dirigeante monarcho-fasciste corrompue et contre ses alliés impérialistes étrangers. Le droit des communistes grecs/grecques et des autres progressistes de rendre hommage aux militants/antes de l'Armée démocratique de Grèce est, en fait, un droit durement gagné, car pendant de nombreuses années après la guerre civile, les membres et les sympathisants/antes ont été persécutés/ées de toutes les façons possibles. Ce n'est qu'en 1989 que le Parlement grec a adopté une résolution déclarant que les partisans/anes de l'Armée démocratique la Grèce (ADG) n'étaient pas des bandits. Cette période de l'histoire a été particulièrement l'objet de distorsions par des propagandistes, des journalistes et des historiens de Grèce et de l'étranger. Leur but est de ternir l'image du mouvement populaire et de miner les luttes passées, présentes et futures en faveur du socialisme, en les décrivant comme des tentatives sinistres, appuyées par les Soviétiques, d'établir une dictature, ainsi que comme un exemple d'agression et de fanatisme.
La guerre civile grecque n'est, bien sûr, pas tombée du ciel; elle a été le résultat d'une série d'interventions et de développements impérialistes relatifs au mouvement populaire et qui remontent à la Seconde guerre mondiale et à la période précédant celle-ci. Le texte qui suit est une description brève et un peu schématique des processus qui ont conduit à la guerre civile. Ce sont des aspects que nous traiterons de façon plus développée et approfondie dans des articles subséquents. En 1940, quand le régime fasciste italien a envahi la Grèce, les communistes et les progressistes grecs/grecques se trouvaient aux premières lignes de la résistance et remportaient des victoires, malgré le fait que des milliers d'entre elles/eux languissaient en prison, et que le Parti communiste de Grèce conduisait ses opérations dans des conditions particulièrement difficiles, étant une organisation illégale et persécutée. Le secrétaire général du Parti communiste de Grèce, Nikos Zachariadis, a écrit une lettre ouverte au people grec, qui est devenue célèbre. Il exhortait ce dernier à résister à l'agression italienne et prévoyait qu'une telle résistance populaire engendrerait une Grèce nouvelle. Après la lâche reddition de l'Ancien régime à la «Wehrmacht», les progressistes grecs ont entrepris la tâche d'organiser la résistance. Cette tâche a atteint son plein développement lors de la 6ème session du Parti communiste de Grèce, en juillet 1941, qui a alors affirmé la nécessité de créer un Front national de libération (EAM). C'est ainsi qu'ont été constitués (a) le légendaire Front national de libération (EAM), (b) son aile militaire, l'Armée populaire de libération nationale (ELAS) et (3), un peu plus tard, la légendaire organisation de jeunesse (EPON). Au cours des trois années suivantes, ces organisations légendaires allaient écrire les pages les plus glorieuses de l'histoire moderne de la Grèce au cours de leur combat contre l'occupation nazie. La preuve de leur effectivité est qu'en avril 1944, ces organisations avaient libéré 90% de la région continentale de la Grèce. Dans les régions contrôlées par le Front national de libération (EAM), les femmes se sont vues, pour la première fois, attribuer des droits politiques; d'autre part des conseils et des tribunaux populaires démocratiques ont été établis. C'est au cours de la lutte contre l'occupation que le peuple grec, ayant à son avant-garde le Parti communiste de Grèce, a créé ses bases démocratiques.
Ce fait n'est pas passé inaperçu de la classe dirigeante britannique. Il était clair qu'un gouvernement populaire constitué par le Front national de libération (EAM) au sein duquel le Parti communiste de Grèce aurait une position dirigeante était une menace pour les intérêts historiques de la Grande-Bretagne en Grèce et dans la partie orientale de la Méditerranée. Alors, malgré l'occupation nazie, les Britanniques ont déployé tous leurs efforts pour freiner le Front national de libération / Armée populaire de libération nationale (EAM / ELAS), surtout en renforçant la «Ligue nationale républicaine grecque» (EDES), petite organisation violemment anti-communiste, connue pour sa collaboration fréquente avec l'occupant nazi, afin de combattre l'Armée populaire de libération nationale (ELAS). Alors que les troupes allemandes étaient repoussées hors de Grèce, ces efforts se sont intensifiés et ne pouvaient plus être vus autrement que comme des préparatifs systématiques à une attaque contre les organes de résistance du peuple grec. En avril 1944, Churchill a donné l'ordre à la BBC de ne plus décrire favorablement les activités du Front national de libération / Armée populaire de libération nationale (EAM / ELAS). Par une série de provocations bien planifiées, les Britanniques ont purgé l'armée grecque d'Afrique du Nord des soldats de gauche, ce qui a conduit à l'emprisonnement de 18.500 d'entre eux dans des camps de concentration d'Afrique du Nord. Ceci a eu lieu en coordination avec la formation de bataillons ultraroyalistes au sein de l'Armée grecque, tels que les régiments alpins, dans le but de créer des outils qui pourraient être utilisés contre le mouvement populaire. Churchill a déployé beaucoup d'efforts pour porter des politiciens grecs d'avant-guerre comme George Papandreou à des postes de direction au sein du premier gouvernement oecuménique et pour soutenir la création de bandes de collaborateurs agissant librement et d'escadrons de la mort pro royalistes, tels que les bataillons «Grivas' X». Une série d'attaques contre le mouvement populaire et contre ses représentants ont abouti à la démission des ministres du Front national de libération (EAM) du gouvernement. Une importante manifestation de protestation avait été convoquée pour le dimanche 3 décembre. Alors qu'une foule se dirigeait en masse vers le Square de la Constitution, la police a ouvert le feu sur celle-ci, tuant 15 manifestants et en blessant une centaine. Après ce massacre, le secrétaire général du Front national de libération (EAM), Dimitris Partsalidis, a déclaré que «le peuple luttera pour la liberté à n'importe quel prix». C'est ainsi qu'a commencé la bataille d'Athènes entre d'une part, l'Armée populaire de libération nationale (ELAS) et d'autre part, l'armée britannique et les forces de sécurité collaboratrices. Le Front national de libération (EAM) a essayé plusieurs fois de négocier un cessez-le-feu, mais selon les Britanniques, le but fondamental était, comme Churchill le disait, «d'écraser le Front national de libération (EAM)». Pour écraser le mouvement populaire, l'impérialisme britannique a dépêché 60.000 soldats, 200 chars d'assaut, des avions, entre autres, ainsi que des combattants qui avaient collaboré avec les nazis! Après 44 jours de violents combats, les unités de l'Armée populaire de libération nationale (ELAS) se sont retirées d'Athènes, et une semaine plus tard le cessez-le-feu a été déclaré. Le 12 février 1945, le Front national de libération (EAM) a signé l'accord de Varkiza, qui comprenait, entre autres clauses, le désarmement du Front national de libération (ELAS) et des bataillons de sécurité ainsi que d'autres mesures visant à garantir la normalisation de la situation.
Il est devenu rapidement clair que l'accord ne serait respecté que par le Front national de libération (EAM) et par le Parti communiste de Grèce. Des groupes paramilitaires, de connivence avec l'appareil de sécurité et avec l'armée britannique, ont entrepris une campagne de terreur. Les partisans/anes de l'Armée populaire de libération nationale (ELAS) étaient massacrés/ées, torturés/ées, arrêtés/ées et accusés/ées de «crimes», alors que les collaborateurs des nazis, lorsqu'ils étaient accusés, recevaient des sentences ridiculement légères. Quelques chiffres montrent l'amplitude de la «terreur blanche», dont la durée s'est étendue de l'accord de Varkiza au 31 mars 1946 : parmi les membres de la résistance il y a eu 1.289 assassinés, 6.671 blessés, 31.632 torturés, 84.931 arrêtés et 8.624 emprisonnés; 677 bureaux d'organisations de la résistance ont été attaqués; 165 femmes membres du Front national de libération (EAM) ont été violées. Au cours de toute cette période, alors que plusieurs combinaisons de partis bourgeois ont été au pouvoir, les Britanniques n'ont jamais essayé de mettre fin aux tentatives d'écraser le mouvement démocratique grec et de restaurer la monarchie. Il convient de souligner le fait que l'élection d'un gouvernement travailliste n'a rien changé à cette politique, qui est conséquente avec la nature pro-impérialiste de la social-démocratie en général au niveau mondial, et en particulier dans le cas du Parti travailliste britannique. C'est dans ce climat de terreur que des élections complètement frauduleuses ont eu lieu le 31 mars 1946. Le Parti communiste et le Front national de libération (EAM) ont refusé de participer à ces élections en raison de leur nature et en guise de protestation.
À partir du début de 1946, de petits groupes de partisans ont quitté les villes et se sont installés dans les montagnes pour pouvoir se défendre. Comme première grande opération, ils ont attaqué un poste de police de la ville de Litochori. Ensuite a commencé une série de confrontations avec les forces gouvernementales et les escadrons de la mort paramilitaires. Le 28 octobre 1946, l'Armée démocratique de Grèce (ADG) a été constituée. Au cours de cette période, la terreur s'est intensifiée et a atteint son paroxysme le 17 juin, date à laquelle le parlement a voté des «mesures d'urgence», qui, somme toute, abolissaient tous les droits individuels et politiques et établissaient la loi martiale.
La description des nombreuses opérations effectuées par l'Armée démocratique de Grèce (ADG) au cours de la guerre civile dépasse le cadre de cet article. Il faudrait cependant décrire certains aspects de cette période, tels que la nature de l'ADG, le gouvernement provisoire et les tactiques utilisées par les monarcho-fascistses.
Nous avons déjà fourni quelques données sur la terreur utilisée par les impérialistes et par leurs alliés locaux, qui a duré tout au long de la guerre civile. Un exemple des actes barbares qu'ils commettaient est l'étalage, en juillet 1947, dans la ville de Florina, des têtes coupées de partisans. Cet acte survenait dans le cadre du ratissage systématique et massif de la campagne et de la déportation d'environ 700 000 personnes de leurs villages, visant à priver l'Armée démocratique de Grèce (ADG) de recrues. Ces personnes sont devenues des réfugiés internes dans d'autres villages et villes. Le réseau d'îles servant de prison et de camps de concentration s'est étendu pour interner les personnes soupçonnées d'être de gauche, des membres de leurs familles et des militaires accusés d'être de gauche. Entre 1947 et 1950, environ 28.800 personnes auraient été détenues dans des camps de prisonniers. Ces personnes étaient envoyées dans des cachots tristement célèbres de Makronissos et de Yioura, entre autres. Des formes de torture et des actes dégradants de toutes sortes étaient infligés aux personnes qui avaient le malheur d'être détenues dans ces prisons.
Ensuite, les États-uniens sont arrivés, ont retiré aux Britanniques la responsabilité d'administrer la Grèce et ont appliqué la Doctrine Truman. L'étendue et la quantité de l'aide militaire fournie au gouvernement grec se sont développées considérablement. Ce que peu de gens savent c'est que le napalm, utilisé de façon si dévastatrice au Viêt-Nam, a d'abord été utilisé en Grèce. Dans les batailles qui se sont déroulées en 1949 dans les montagnes de Grammos-Vitsi, 388 bombes au napalm ont été utilisées.
L'Armée démocratique de Grèce (ADG) était, sous tous ses aspects, une armée populaire démocratique. Des assemblées étaient tenues au niveau des pelotons, au cours desquelles tout soldat pouvait exprimer son opinion; chaque militant prononçait un serment d'allégeance, qui soulignait les idéaux et les principes de l'Armée démocratique de Grèce (ADG) et la manière selon laquelle chaque militant/ante doit se comporter à l'égard du peuple. L'éducation politique était assurée systématiquement par les officiers politiques assignés dans chaque unité. Les femmes jouaient un rôle important au cours des combats: elles constituaient plus de 30% des effectifs militaires de l'ADG et 70% du personnel médical et de soutien. Ceci était en flagrant contraste avec le rôle réservé aux femmes de la classe dominante grecque. Ce n'est que dans les régions contrôlées par les forces démocratiques que les femmes avaient des droits politiques. L'enseignement médical était assuré par des écoles de formation et par des hôpitaux. 125 travailleurs/euses de la santé avaient reçu une formation. Aleka Papariga, secrétaire générale du Parti communiste de Grèce, a expliqué que, malgré le manque de matériel, «toute opération qui devait être effectuée était effectuée».
Le 23 décembre 1947, dans les régions libres de la Grèce, le Gouvernement démocratique provisoire (GDP) a été fondé. Il était basé sur douze principes, entre autres la reconnaissance du droit des femmes et des minorités et l'indépendance de la Grèce par rapport au capital étranger. Le Gouvernement démocratique provisoire (GDP) a institué des conseils populaires dans les villages et des assemblées représentatives populaires dans des villes, qui élisaient des exécutifs et avaient le droit de révoquer ces derniers. Des élections ont eu lieu dans 300 municipalités du Nord de la Grèce en 1948 et dans 323 villages du Péloponnèse. Des tribunaux populaires ont été élus, les électeurs/trices ayant le droit de révoquer les élus (des cours d'appel ont aussi été élues). Le grec démotique, langue utilisée par le peuple, a été adopté comme langue officielle et a été enseigné dans les écoles établies par le Gouvernement démocratique provisoire (GDP), et les minorités ont aussi pu étudier dans leurs propres langues. L'éducation était gratuite et obligatoire, et il y a avait une école dans chaque village. La propriété de la terre était réglementée et la terre était redistribuée. Chaque agriculteur avait le droit de posséder une quantité minimale de terre et un niveau maximal était également fixé. Les réalisations de la période du Front national de libération (EAM) ont été développées et approfondies, et elles constituent les éléments de base du peuple démocratique de Grèce.
Après trois années de combat, le reste des forces de l'Armée démocratique de Grèce (ADG), surtout après l'intervention des États-uniens de 1948 et après, ont été forcées de se retirer en Albanie après les violents combats dans les chaînes de montagnes de Vitsi et de Grammos, en août 1949. La résistance a continué malgré tout dans certaines régions telles que Lesbos, au cours de l'année 1950. En Crète, les deux derniers partisans de l'Armée démocratique de Grèce (ADG), Giorgos Tzompanakis et Spiros Blazakis, sont descendus des montagnes après la chute de la dictature, survenue le 24 février 1975.
Le nombre de personnes tuées au cours de la Guerre civile est d'environ 150.000. Selon les données officielles de la direction générale de l'armée grecque, environ 38.839 partisans/anes de l'Armée démocratique de Grèce (ADG) ont été tués/ées ou blessés/ées, 20 128 ont été emprisonnés/ées. Selon les données officielles, 55.528 soldats de l'armée gouvernementale ont été tués.
Plus de 65.000 personnes, communistes et autres combatants/antes et sympathisants/antes du Front national de libération (EAM) et de l'Armée démocratique de Grèce (ADG), ont été obligés/ées de quitter la Grèce et de se réfugier dans des pays socialistes (environ 20.000 ont été privés de leur citoyenneté), 40.000 ont été envoyés/ées dans des prisons et des camps de concentration tels que Makronnissos. Les exécutions de combattants de la Résistance ont continué jusqu'en 1955. Au moins 5.000 ont été exécutés y compris Nikos Belogiannis, membre du Bureau politique du Parti communiste de Grèce, dont le procès est devenu très célèbre. La monarchie a été rétablie conjointement avec le régime réactionnaire, connu pour sa soumission à l'impérialisme anglo-états-unien, la répression qu'il a exercée contre la Gauche, sa mauvaise gestion économique et ses échecs politiques et culturels. Cette situation a atteint son apogée pendant les sept années tristement célèbres de la dictature des colonels, appuyée par les Etats-Unis.
La période de la Guerre civile et de la Résistance du Front national de libération (EAM) a été importante pour la formation du mouvement populaire. Le Parti communiste de Grèce et ses alliés n'ont jamais cessé de lutter pour la démocratie et le socialisme dans les conditions d'illégalité, soit avec le front de gauche de la Gauche démocratique unie (EDA) dans la lutte pour l'éducation et pour les droits des détenus/ues, sur la question de Chypre et de l'indépendance nationale, pour développer une culture populaire vivante et dynamique contrairement aux dogmes bourgeois stériles des années 1950 et 1960. Après la chute de la junte, cette lutte a continué contre les guerres impérialistes contre la Yougoslavie et l'Irak, contre les centres impérialistes que sont les Etats-Unis et l'Union européenne, pour défendre les droits et les acquis des travailleurs/euses. Aleka Papariga a résumé cet héritage dans son discours prononcé à Lykorakhi:
«Le terrorisme et la violence dirigés contre les communistes et les militants/antes de la Résistance sont les facteurs qui ont entraîné la naissance à l'Armée démocratique de Grèce (ADG), pas seulement en tant que forme de défense, mais aussi en tant que tentative héroïque d'appliquer les objectifs de la Résistance nationale.
Si les conditions matérielles soulèvent pour des communistes, pour des anti-capitalistes la question: 'Faut-il contre-attaquer ou se soumettre?, il n'y a qu'une réponse: 'Il faut contre-attaquer!'»
*Costas Pateras, membre de la Section internationale du Parti communiste de Grèce (KKE)
e-mail:cpg@int.kke.gr